GRANULAIRES (MATÉRIAUX)

GRANULAIRES (MATÉRIAUX)
GRANULAIRES (MATÉRIAUX)

Un matériau granulaire est un matériau formé de grains, ce dernier terme pris au sens de «partie élémentaire discernable de l’ensemble». Cette définition permet de regrouper des substances très diverses, allant de la farine de blé à un composite ou à une céramique. Une première classification permet alors de marquer une différence entre matériaux granulaires cohérents, caractérisés par des attractions fortes (ou «collages») entre grains, comme les céramiques, et non cohérents, sans attractions, comme la farine. Il sera ici essentiellement question de la seconde catégorie.

Ces matériaux sont d’une grande importance économique et scientifique. Ils constituent une part essentielle de notre environnement (argiles, sables, grès, céréales...) et sont aussi les éléments de base dans un grand nombre de secteurs industriels (travaux publics, industries chimique, pharmaceutique, agro-alimentaire...). En 1987, en ce qui concerne les travaux publics, chaque Français a «consommé» en moyenne sept tonnes de «granulats», essentiellement sables et graviers.

Une des richesses scientifiques de ces milieux vient du fait qu’ils sont constitués de deux structures imbriquées et duales, ayant chacune ses caractéristiques propres: la première est formée par les grains solides et la seconde par l’espace laissé libre, les pores. Dans beaucoup de matériaux granulaires, la connaissance des propriétés de ces deux espaces est nécessaire; ainsi, dans un béton ou dans un sol, la tenue mécanique est essentiellement assurée par le solide, tandis que la dégradation se fera souvent à partir des pores, puisque c’est par là que pénétreront les agents extérieurs (l’eau par exemple) susceptibles de détériorer le matériau.

1. Les milieux granulaires: un peu d’histoire

Parce qu’ils sont communs, à portée de main, les matériaux granulaires ont été utilisés depuis très longtemps sous une forme plus ou moins élaborée. Dans l’Antiquité, les Perses, les Égyptiens utilisaient déjà des briques en argile séchée et la fabrication des céramiques est d’une technologie très ancienne. Le béton, également, est un matériau traditionnel bien qu’il ait beaucoup évolué ces vingt dernières années, notamment, avec l’apparition des bétons de hautes performances.

L’expression «mécanique des sols» est apparue en 1925. Cependant, depuis fort longtemps, les constructeurs ont eu à se préoccuper des caractéristiques des terrains sur lesquels ils bâtissaient, et l’âge de bon nombre de monuments témoigne d’une bonne connaissance de la stabilité des sols, dans différentes parties du monde, il y a plus de trois mille ans.

D’un point de vue fondamental, une filiation certaine apparaît entre différents travaux historiques. Par exemple, le mathématicien grec Apollonius de Perga, environ 200 ans avant J.-C., imagina un pavage complet du plan par des disques (fig. 1): la taille de chaque nouvelle catégorie de disques est choisie de façon à remplir au mieux les «cavités» laissées libres par les catégories précédentes. La même idée – remplir au mieux l’espace à partir de «tranches granulométriques» successives – a permis au Français Albert Caquot, dans les années 1930, de proposer une théorie pour les bétons. Enfin, l’empilement «apollonien» est un des exemples d’objet fractal cité par Benoît Mandelbrot.

Mais le plus gros effort scientifique a porté sur les empilements de sphères de même diamètre, qui constituent les modèles les plus simples de milieux granulaires. L’analyse de leur structure suscite les travaux les plus variés, portant essentiellement sur les arrangements locaux, plus ou moins réguliers, que forment entre eux les grains élémentaires,
dans une structure globalement désordonnée. Citons par exemple ceux du révérend Stephen Hales qui, au début du XVIIIe siècle, analysait dans ce but la forme des grains dans un empilement de petits pois préalablement compressés.

2. Structure de la matière condensée, désordonnée, dense

La structure d’un matériau granulaire est difficile à analyser, étant donné le grand nombre de facteurs dont elle dépend, liés bien sûr aux grains eux-mêmes (nature, état de surface, forme, taille et distribution de taille) et au «contenant» (géométrie, dimensions), mais aussi à l’histoire du matériau au niveau du processus de mise en place et des traitements subis (voir par exemple les effets de ségrégation décrits infra , chap. 4).

Le milieu granulaire est souvent considéré comme étant un état particulier de la matière, se situant «quelque part» entre le liquide (il prend par exemple la forme du récipient qui le contient, mais sa surface libre au repos n’est pas parfaitement horizontale) et le solide (il résiste à la compression, mais pas à la traction, et peu au cisaillement). Les mêmes modèles structuraux, les empilements désordonnés de sphères, ont été souvent utilisés pour décrire ces différents états de la matière.

À ce niveau, les travaux sans doute les plus importants ont été ceux de l’école créée par J. D. Bernal à Londres. Le modèle de Bernal – proposé au départ pour les liquides denses – est un empilement compact et désordonné de sphères égales, dans lequel les «cavités» sont trop petites pour accueillir une nouvelle sphère. Les arrangements locaux de celles-ci et la structure globale de tels milieux ont ainsi été étudiés, à la fois sur des empilements réels de billes et sur des empilements obtenus par simulations numériques.

L’une des questions alors posées était l’obtention de l’empilement le plus dense possible, c’est pourquoi le problème de la treizième sphère a longtemps été étudié. Autour d’une sphère donnée, et en contact avec elle, quel que soit l’arrangement choisi, il n’est possible de mettre qu’un maximum de douze sphères, alors qu’il y a en principe de la place pour une treizième. Les exclusions stériques – les sphères ne peuvent pas se pénétrer – sont responsables de ce fait et sont à l’origine de l’ordre (à courte distance) ou du désordre observés. D’une façon générale, la matière ne peut présenter d’ordre (excepté à courte distance) que s’il y a compatibilité entre l’arrangement local le plus stable et son extension à l’infini. Dans les empilements de sphères égales, l’arrangement local le plus dense est le tétraèdre formé de quatre sphères en contact mutuel, mais on ne peut paver complètement l’espace avec un tel motif. Cette idée-force a permis de mieux comprendre le désordre présenté par les liquides denses, les amorphes métalliques (dans lesquels les interactions faibles entre atomes permettent de prendre en compte essentiellement les exclusions stériques), mais aussi les milieux granulaires, pour lesquels de tels modèles peuvent être améliorés en y introduisant par exemple une distribution de taille des grains, souvent observée dans les matériaux réels.

La description de la structure d’un milieu granulaire s’effectue souvent en considérant des caractéristiques géométriques moyennes, qui peuvent être différentes selon la propriété à exploiter. Par exemple, la porosité , définie comme le rapport du volume des vides au volume total du matériau, est importante pour les processus qui s’effectuent dans l’espace des pores. Pour les propriétés de l’espace des grains, la notion de contact entre ceux-ci est fondamentale, et la coordinance, définie comme le nombre moyen de contacts par grain, est alors utilisée.

Les modèles de sphères se révèlent souvent insuffisants. En effet, les milieux granulaires sont généralement formés de grains de forme irrégulière, éventuellement anisotropes et, pour une même granulométrie, leur porosité est en général plus grande que celle des sphères: ainsi, une porosité de 0,43 à 0,44 est courante pour des sables et des graviers tandis que celle des sphères est comprise entre 0,36 et 0,40. Cet écart est lié aux exclusions stériques différentes et à la nature des contacts entre grains. Les empilements de sphères sont caractérisés par des contacts ponctuels, donc instables, qui permettent un réarrangement aisé des grains sous l’effet d’une sollicitation mécanique. Dans un matériau réel, les contacts sont plus larges et s’opposent aux glissements et aux rotations des grains; ils assurent une bonne stabilité mécanique, mais favorisent la formation de cavités importantes qui expliquent les grandes valeurs de porosités observées.

3. Hétérogénéité et propriétés physiques

Les propriétés physiques d’un milieu granulaire dépendent, d’une part, de celles des phases qui le composent et, d’autre part, de la structure du matériau. Il est tentant – et souvent fructueux – de les décrire à partir de caractéristiques géométriques moyennes. Ainsi, la conductivité 靖 d’un empilement de grains isolants, dont l’espace des pores est rempli d’un liquide conducteur de conductivité 靖L, est reliée à la porosité moyenne 﨏 par la loi empirique d’Archie, 靖 = 靖Lm , où m est un exposant de l’ordre de 1,5 à 2 pour un matériau non cohérent. Un comportement du même genre est observé pour la perméabilité.

Ces deux propriétés semblent donc peu sensibles aux hétérogénéités géométriques. Cependant, cela ne constitue pas le cas général. Considérons par exemple la dispersion qui décrit l’étalement d’une impulsion de traceur injecté localement dans un liquide en écoulement dans l’espace des pores, méthode d’analyse souvent utilisée, en génie civil, pour caractériser un terrain. Aux vitesses d’écoulement suffisamment élevées, la dispersion est associée à la trajectoire complexe du traceur, liée au désordre géométrique du volume poreux. On peut, de manière théorique, associer à la dispersion une longueur l d caractéristique du processus de division des trajectoires du traceur. Pour un milieu homogène, tel que celui que constitue un matériau modèle, formé de sphères identiques, la longueur ainsi déterminée est de l’ordre de la taille des grains. Elle peut être beaucoup plus élevée en présence d’hétérogénéités provenant, par exemple, de l’existence de couches ou de canaux de perméabilités différentes, ou d’une large distribution de taille des pores.

Dans l’espace des grains, les propriétés du matériau sont largement conditionnées par les contacts entre ceux-ci. Mais tous ces contacts sont d’importance inégale, comme l’a montré Pierre Dantu en étudiant le comportement sous compression d’un empilement à deux dimensions formé de cylindres de Plexiglas. Le Plexiglas devient biréfringent sous contrainte et il est possible de visualiser les contraintes locales (au contact entre deux grains) par photoélasticité en éclairant l’empilement en lumière polarisée.

Les grains très contraints apparaissent éclairés tandis que les grains peu ou pas contraints sont sombres. La répartition spatiale des contraintes intergranulaires est hétérogène: les grains les plus contraints génèrent un réseau irrégulier dont la distance moyenne entre nœuds définit une longueur caractéristique supérieure à la dimension des grains (cf. photo). Un tel réseau existe aussi à trois dimensions. Cette hétérogénéité spatiale conditionne les propriétés mécaniques, mais aussi les différents processus qui s’appuient sur l’espace des grains – frittage, transport, etc. Ainsi, dans le cas d’un empilement de grains conducteurs subissant ou ayant subi une compression, le réseau des fortes contraintes constitue le chemin préférentiel de passage du courant, puisque les bons contacts mécaniques sont aussi les moins résistants électriquement.

4. L’écoulement des matériaux granulaires

Les matériaux granulaires, tout au long de leur histoire, subissent des déplacements. S’il se produit parfois naturellement (les avalanches par exemple), l’écoulement des matériaux granulaires est un processus de grande importance dans de nombreux secteurs technologiques et industriels (mise en place, stockage, dosage, etc.). C’est un phénomène complexe (le matériau n’est ni liquide ni solide) qui n’est pas encore bien compris. Son étude constitue pourtant une étape primordiale dans la maîtrise des différentes étapes de l’histoire d’un matériau granulaire, et donc dans la conception de matériels destinés à la manipulation de la matière en grains.

Dans les applications industrielles, le matériau se trouve, en général, stocké dans un réservoir (silo ou trémie), constitué d’une section parallèle et d’une section convergente, à la base duquel une ouverture permet le déversement. La qualité de l’écoulement va dépendre de nombreux facteurs liés au matériau, au réservoir, et aux conditions d’exploitation. On distingue l’écoulement à noyau et l’écoulement en masse (fig. 2).

Dans l’écoulement à noyau, les grains à l’aplomb de l’orifice de sortie se mettent d’abord en mouvement: le matériau s’écoule à partir de son centre, il est possible qu’il se crée des espaces morts au voisinage des parois et la vidange complète n’est pas assurée. Parfois même l’écoulement s’arrête brutalement. Cela est lié à la création d’une voûte ou d’une cheminée. Dans le premier cas, il se forme un bloc rigide et stable au-dessus de l’orifice de sortie; la voûte résulte de l’enchevêtrement des grains, pour un matériau «grossier», ou des forces d’adhérence entre grains, pour un matériau «fin». Dans le second cas, l’écoulement se limite à la création d’une cheminée qui se développe jusqu’au niveau supérieur du matériau. La rupture, provoquée par action mécanique (vibrations) ou spontanée, d’une voûte ou d’une cheminée peut conduire au fusage: le matériau déferle alors d’un coup. L’irrégularité de l’écoulement, provenant de l’alternance de formation de voûte ou de cheminée, et de déversement provoque des à-coups pouvant être très dommageables dans une chaîne de fabrication.

L’écoulement en masse est un mouvement d’ensemble des grains, y compris ceux qui sont en contact avec les parois. Il permet une vidange complète et régulière du réservoir. En revanche, la mise en œuvre est difficile, car elle nécessite l’adaptation des caractéristiques du réservoir à celles du matériau à traiter. Une technique fréquemment utilisée, pour améliorer l’écoulement, consiste à injecter de l’air par des trous disposés régulièrement, à la même cote, un peu au-dessus de l’orifice du réservoir. L’air réduit les frottements entre les grains et sur la paroi et fluidifie le mouvement.

Généralement, un matériau granulaire est un mélange de grains qui diffèrent par la taille, la forme, la masse volumique... La différence de taille est particulièrement importante pour des particules en mouvement. Elle peut mener à la ségrégation, c’est-à-dire à une séparation plus ou moins complète des différentes catégories de grains. Ainsi, au cours de la vidange d’un silo, le sommet du tas formé par le matériau évacué est constitué d’une couche de quelques épaisseurs de grains en état d’agitation rapide. Cette couche se comporte comme un tamis à travers lequel ne peuvent passer que les particules de petite taille qui se retrouvent donc, préférentiellement, près de l’axe du tas, tandis que les grains les plus gros se trouvent plutôt vers l’extérieur. Le matériau n’est pas homogène et il sera nécessaire de procéder à un brassage avant de l’utiliser.

5. Applications

Outre leurs applications traditionnelles déjà évoquées, les matériaux granulaires sont à la base de l’élaboration de produits nouveaux utilisés dans les secteurs technologiques de pointe. Les céramiques techniques sont obtenues par frittage de «poudres» de synthèse. Elles trouvent des applications en électronique (nouvelles céramiques supraconductrices, composants passifs...), en mécanique (moteurs), dans le domaine biomédical (prothèses), etc.

Les propriétés de ces matériaux sont souvent conditionnées par la structure du matériau granulaire de départ. L’hétérogénéité de cette structure nécessite la prise en compte de plusieurs échelles de longueur en plus des échelles extrêmes du grain et du matériau dans son ensemble. Il est alors difficile de définir un volume d’homogénéité, et une description des propriétés en appliquant les lois des milieux continus, qui supposent le constituant homogène, ne peut se faire sans précaution. L’utilisation des méthodes inspirées de la physique des systèmes désordonnés (percolation, fractals, chaos) et la prise en compte des non-linéarités inhérentes aux milieux granulaires sont prometteuses. La correspondance entre le problème de l’écrasement d’un matériau granulaire sous sollicitation mécanique et les modèles de type percolation, actuellement objet d’études théoriques et numériques, en est un exemple.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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